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Pireneia Slavska
25 novembre 2010

La Vierge Noire d'Idron

L’internement des soldats polonais et l’édification de l’oratoire polonais d’Idron ont inspiré une nouvelle romantico-historique à Ninou Dubois (Lauréate 1999 du concours littéraire de l’association Noires de Pau).

Ce texte a été publié initialement le 17 août 2009 dans le journal Sud Ouest.


vierge_noire_idron


Voici la lettre ouverte par le jeune Polonais Jean, le jour de son anniversaire, conformément à la volonté expresse de son grand père décédé quelques mois auparavant :

 

«  Jean, mon cher enfant qui me ressemble tant, tu sais déjà pourquoi la France et particulièrement un petit village des Pyrénées sont si chers à mon cœur. Quand j’avais exactement ton âge et que la barbarie nazie régnait encore en Europe, je poursuivais le combat avec les hommes de mon régiment.

Nous avons été faits prisonniers en 1941 et « internés » dans le camp militaire d’Idron. Je découvris ainsi cette région magnifique mais hélas, il nous fallait travailler si dur dans des chantiers forestiers parfois très éloignés que nous n’avions guère le temps d’en apprécier les beautés. Nos gardiens français n’étaient pas méchants mais nos tentatives d’évasion, dans le fol espoir de gagner Londres, étaient sévèrement réprimées : ceux qui se faisaient prendre étaient expédiés pour quelque temps dans des camps disciplinaires, puis ils revenaient, reprenaient des forces et recommençaient. La population béarnaise vivait elle aussi, presque aussi durement que nous, les privations imposées par l’occupant. »

« On nous regardait avec pitié et curiosité quand nous traversions le village, à pied ou entassés dans des camions encadrés par nos surveillants. Ceux d’entre nous qui comme moi, parlaient français s’enhardissaient parfois à échanger quelques mots avec les villageois. C’est ainsi que mes yeux et mon destin ont rencontré le beau visage grave d’une femme encore jeune, Jeanne. Elle m’avait fait comprendre que son mari avait pris le maquis et qu’elle tremblait pour lui, bien qu’il fût plus âgé qu’elle et leur mariage, un arrangement entre deux familles, plutôt qu’une histoire d’amour. Plus tard nous nous sommes vus plusieurs fois, enlacés dans l’herbe le long de la clôture du camps, quand tout le monde dormait, avec le complicité d’un gardien. Elle m’apportait des fruits de son jardin, et parfois un morceau de gâteau anisé qu’elle faisait elle-même. Nous étions si bien ensemble ! C’était moi c’était son premier amour, comme elle était le mien. Mais souvent nous pleurions en regardant les étoiles, trop conscients de la guerre, de l’avenir incertain et de tout ce qui nous séparait … »

 « Pourtant, quand le jour revenait, je retrouvais la confiance et la foi, et c’est avec entrain que j’aidais mon chef, le lieutenant Sarnicki à créer, à partir des morceaux de pierre et de céramique que nous ramassions pour lui, cette œuvre qui allait devenir plus tard, grâce au Capitaine Pottier et à Rosa Bailly, le petit oratoire de « La Vierge Noire des Polonais » toujours visible à l’entrée du camp désaffecté. Le lieutenant Sarnicki à réussi à survivre aux camps de la mort, il est devenu le professeur de Carol Wojtyla, futur Jean-Paul II et Rosa Bailly, la bienfaitrice des Polonais, a fini ces jours à Pau en 1976 ».

«  Je persistais cependant avec quelques camarades à préparer mon évasion dans le plus grand secret, tout en sachant que Jeanne n’était pas dupe et ne ferait rien pour me retenir, même si la perspective de mon départ lui brisait le cœur. J’ai fini par partir. »

« Plus tard, bien plus tard, des années après la guerre, j’ai réussi à revenir à Idron. J’ai revu le camp, redevenu la base militaire bouillonnante d’activité qu’il devait rester jusqu’en 1984. Je me suis recueilli devant le petit oratoire, fleuri aussi bien par des Polonais que par des Français, par des parachutistes que par des civils. Mais Jeanne, hélas … celle que je n’avais jamais oubliée, que j’aurais tant voulu revoir , n’était plus de ce monde. Elle était morte d’épuisement en 1942, en traversant les Pyrénées avec son mari pour fuir en Espagne. Mort aussi, l’enfant qu’elle attendait et qui était peut-être le mien… »

 « Tu sais maintenant pourquoi, comme ton père, tu portes ce prénom français. J’ai été heureux dans mon pays, j’ai travaillé pour lui de mon mieux toute ma vie, j’ai fondé une famille dont je suis fier et pourtant …un grand morceau de mon cœur est resté là-bas, près de la Vierge noire Essaie d’y aller toi aussi un jour, puis tes enfants et les enfants de tes enfants. La Vierge Noire vous protégera ! »

 

Ninou Dubois, 2009.

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